Petit coup de nostalgie spécial 3 ans de la librairie

Pour fêter les 3 ans de la librairie, et parce que beaucoup d'étudiants en Métiers me demande comment j'ai fais pour ouvrir ma librairie, voici les liens des albums d'avant, pendant les travaux et de l'aménagement de la librairie :)

Avant les travaux


Les travaux


L'aménagement



Et une interview parue dans Bifrost en Juillet dernier

Paroles de Libraire

[par Hervé Le Roux]

Bifrost : Parle-nous de ta librairie

Taly Lefevre : Au départ le concept était de faire une librairie gothique, mais qui ne ferait pas peur aux voisins ! Je tenais beaucoup au code couleur rouge, noir et blanc avec des murs en fausses pierres blanches et non pas noires pour que l’on puisse bien voir les livres et aux noms de rayons calligraphiés à la main.

 Je voulais rassembler différentes thématiques qui me semblaient cohérentes dans un même espace : l’ésotérisme (avec beaucoup de tarots, de pendules, de pierres, avec surtout un rayon Satanisme et Sorcellerie pour dédramatiser et faire connaître ces sujets particulièrement caricaturés et méprisés par les médias), la Fantasy , la Science-Fiction, le Fantastique, La Bit-Lit et les Beaux-Livres avec une attention particulière pour les petits éditeurs

. Je trouvais aussi important de donner un côté plus Concept Store en proposant en plus des bijoux, des peluches, des bracelets et plein de produits dérivés. Au final ma librairie correspond très bien à l’image que je m’en étais faite : un lieu de vie convivial dans lequel on peut passer des heures et découvrir plein d’éditeurs et auteurs français.

B : Techniquement, comment ton projet a-t-il été financé ?

T. L. : Après avoir bénéficié de l’aide fort précieuse de l’Espace Commerce Culturel de la ville de Paris pour tout ce qui a été préparation administrative et soutien psychologique et d’un stage de gestion et de création d’entreprise par l’AFPA* (et après avoir passé mon Brevet Professionnel de librairie par l’INFL*) j’ai frappé à toutes les portes supposées me financer. Portes que j’ai systématiquement prises dans la tête car mon projet était beaucoup trop spécialisé ! 

 J’ai finalement dû sortir 70 000 euros personnels pour enfin pouvoir accéder à 49 000 euros de prêt pour financer le pas de porte mais aussi les travaux et le stock (qui est en fait financé par mes sous).

B : Pourquoi le choix d’une librairie spécialisée dans les mondes imaginaires ?

T. L. : Je pense que j’aurais été trop malheureuse de devoir continuer à vendre de la littérature générale, du Pratique et du Scolaire ! 

 Quand je vois le nombre de merdes qui sortent et que les distributeurs casent aux forceps en librairie par le système très insidieux des offices limite forcés et le temps que l’on perd à faire des retours, plus la trésorerie qui se promène pour rien, je préférais faire ce qui me passionne et pouvoir travailler avec les éditeurs que je connaissais déjà un peu.

B : Dans tes souvenirs de lectrice, quels sont les ouvrages qui t’ont le plus marqué ?

T. L. : La liste serait très longue et je vais enfoncer plein de portes ouvertes ! Pour commencer je dirais que je n’ai pas le parcours classique du lecteur lambda : en effet j’ai su lire très jeune et j’ai commencé par toute la mythologie grecque et surtout la théologie (oui je sais j’ai des hobbys bizarres !). 

Après je suis très vite venue à l’Horreur (beaucoup de Stephen King) et tout de suite derrière le Fantastique avec beaucoup Lovecraft et surtout très vite aussi Anne Rice … et je suis tombée amoureuse des vampires avec l’adaptation ciné de Dracula de Bram Stoker. 

A partir de là j’ai lu tous les livres qui pouvaient parler de près ou de loin de vampire ! Je me suis mise à la Fantasy beaucoup plus tardivement étrangement car je pense que personne n’avait su m’amener vers le genre.
B : Ton coup de cœur de l’année écoulée ? 

T. L. : Magie brute, chroniques du grimnoir de Larry Correia aux éditions de l’Atalante, un mélange improbable de scénettes de super-héros aux pouvoirs pas forcément utiles dans un style Pulp et Comics version Steampunk !  

Dans les veines de Morgane Caussarieu aux éditions Mnémos, où les pérégrinations d’une bande de loosers vampires à la violence catharsique !  

La Baronne des Monts-Noirs de Céline Guillaume aux éditions Terre de Brume, récit des aventures moyenâgeuse d’une comtesse bourrine à la vie compliquée.

 Les Etoiles s’en balencent de Laurent Whale aux éditions Critic, un roman post-apocalyptique dans lequel le lecteur suit les pas de soldats cyniques dans les restes d’une ville.

Enfin, Lune de sang d’Anaïs Cros aux éditions Lokomodo, une version Fantasy de Sherlock Holmes. J’ai créé un blog pour chroniquer mes coups de cœurs : http://librairielantremonde.blogspot.fr/

B : Une parution particulièrement attendue pour cette année ?

T. L. : La suite du Demi-monde de Rod Rees chez J’ai lu dans la collection Nouveaux Millénaires, pour son côté personnages historiques bien psychopathes qui se croissent alors que ce n’est pas forcément une bonne idée. Je suis tellement accro que je vais aller les acheter en anglais à Londres lors de mes 5 premiers jours de repos en 2 ans ! Et la suite des Etoiles s’en balancent de Laurent Whale chez Critic.

B : Ton point de vue sur les productions éditoriales contemporaines (SF, fantasy, fantastique, …) ?

T. L. : Je trouve surtout idiot le côté surproduction. J’en ai parlé avec certains éditeurs avec qui je travaille beaucoup. Vu à la vitesse à laquelle je lis (de 8 à 10 livres par semaine, en plus de mes faciles 60 heures de travail à la librairie), je n’arrive pas à suivre donc tu imagines bien que les clients ne risquent pas de suivre … 

 Ce qui m’énerve aussi beaucoup c’est le côté facilité éditoriale et la façon dont certaines grosses maisons prennent les lecteurs pour des cons : « tiens et si on ressortait un 15ème ersatz de Hunger Games !  » Ou « et si sur la couverture on citait tel auteur important qui disait que ce livre il est trop bien ! ».

  Enfin, je pense que certains de mes collègues ont perdus la curiosité qui caractérise notre travail en montrant peu d’intérêt à certains petits éditeurs et auteurs (et pourtant il y a de sacrés perles à découvrir !).

B : Ton avis sur les débuts du livre numérique ?

T. L. : Après discussion avec des collègues je m’aperçois que je suis beaucoup moins sectaire et moins dans la guéguerre papier contre numérique. J’ai plus tendance à considérer que je vends des histoires plus que du papier. Surtout qu’à force de passer du temps à discuter avec les clientes (ma librairie a un côté très fifille dont je suis très fière !), je constate que la moitié d’entre elles ont des liseuses et que le fait de lire en numérique leur permet de faire le tri dans les titres qui les intéressent pour ensuite les acheter en format papier pour faire joli dans leur bibliothèques ! 

 Je suis d’ailleurs en train de finaliser le partenariat avec Epagine pour proposer les liens sur le site internet de la librairie.

B : Et l’avenir des librairies spécialisées ?

T. L. : Toujours plus d’animation (en même temps j’aurai du mal à en faire plus avec mon vernissage par mois et ma dédicace tous les samedis), d’interactivité avec les clients via les réseaux sociaux et un système de réservation qui permet de bien suivre les demandes. Il y a plein de moyens pas chers pour essayer de piquer 1 ou 2 clients de temps à temps à Amazon et compagnie dont celui de crée plein de partenariat avec des forums, sites et blogs spécialisés (voir la liste sur le site de la libraire).

B : Quelles sont tes relations avec les diffuseurs ? Les libraires spécialisés sont-ils « considérés » ? Les distributeurs accordent-ils des remises ?

T. L. : Les gros distributeurs n’en n’ont strictement rien à taper de mon existence : j’ai des remises minimum car ils considèrent que seul le volume compte. A chaque fois je leur réponds que s’ils attendent que la Fnac ou Virgin ferme pour me faire des conditions vivables je ne suis pas près de vivre grâce à eux.  
Par contre les petits me chouchoutent car eux voient bien tout le travail qualitatif et les efforts de fidélisation de la clientèle. Mais ce n’est pas normal que ce soit à eux de rattraper les raisonnements à très court termes des gros.

B : Un événement particulier pour ta librairie dans l’année à venir ?

T. L. : A part les dédicaces tous les samedis, le gouter des blogs au Salon du livre de Paris durant lequel ont été remis le Prix de la libraire, le Prix du Jury (des meilleurs clients auto-nommés « meubles de la libraire ») et le Prix des lecteurs (sélectionné par questionnaire à choix multiples via Facebook). Nous allons fêter le 27 avril le 2ème anniversaire de la librairie le même jour que la Fête des librairies indépendantes !

B : Des activités complémentaires à la librairie ?

T. L. : On commence à me proposer des stands en salon mais vu que je travaille toute seule, que je ne suis pas véhiculée et que je ne peux pas forcément payer quelqu’un car je ne me paye pas encore régulièrement c’est un peu au coup par coup…

B : A propos de gagner sa vie, ton salaire émarge à combien et pour quel volume de vente ?

Je viens d’avoir l’autorisation du comptable pour retirer mes 2000 premiers euros pour 2 ans de boulot ! Mais je pense pouvoir me sortir tous les mois 500 euros. Je fais en moyenne entre 8000 et 9 500 euros TTC de chiffre d’affaire, 14 000 euros TTC à Noël !

B : Une question que tu aurais souhaité que je te pose ?

T. L. : Peut-être une question sur la réalité du métier pour ne plus entendre « ouah c’est cool votre boulot j’adorerai passer la journée à lire comme vous ! ». 
Et non raté : je passe ma journée sur la compta, à courir après les conneries des distributeurs, à organiser des évènements, à me gérer les cacas nerveux de certains auteurs qui ne se rendent pas compte des implications financières des dédicaces, à répondre aux questions des clients sur la page Facebook de la librairie (jusqu’à 2h du matin parfois … oui je sais je suis maso !).

B : Dans la série « coup de gueule », tu as droit à six cents signes !

T. L. : J’essaye parfois de faire de l’éducation et donc d’expliquer pourquoi Amazon n’est pas vraiment le monde des Bisounours et les conséquences sur les éditeurs des remises hallucinantes qui leur extorque afin de pouvoir offrir et les 5% de remise automatique et les frais de port. Après je comprends très bien le côté attractif que ces conditions peuvent avoir sur les clients (moi-même avant de commencer à travailler dans les métiers du livres il y a 13 ans je me serais surement laissée piéger !) 

 Autre chose : la méfiance que je trouve imbécile de certains gros éditeurs qui refusent de m’envoyer des services de presse en numérique de peur que je les mette sur le net. Déjà, quel intérêt pour moi ? Et c’est vraiment surestimer mes capacités en informatique ! 
Surtout que je peux les emprunter aux blogueuses que je connais bien… mais ça fait sérieux tiens ! Enfin : si les médias pouvaient enfin arrêter un jour de faire passer les fans des littératures de l’Imaginaire pour des psychopathes, des attardés, des incultes et des gens incapables de gérer la réalité !

B : Un message aux lecteurs de l’imaginaire ?

T. L. :
Soyez toujours plus curieux et écoutez votre libraire !

B : Le mot de la fin ? 

T. L. :
Vous êtes tous bienvenue quand vous voulez pour faire des câlins, mangez des crêpes au Nutella, prendre des photos avec le Loup Noir Punk (la mascotte de ma librairie) et surtout passer des heures à échanger vos points de vue sur tous les livres que vous aimez !



*AFPA : Association pour la Formation Professionnelle des Adultes, INFL : Institut National de Formation de la Librairie.

[propos recueillis par Hervé Le Roux]



Lien vers mon article sur Amazon and Cie

Lien vers mon article sur l'explication sur la Loi Lang et l'amendement anti- Amazon and Cie

Lien vers mon article sur la distribution en France

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